L'art contemporain n'existe pas - Jean-Luc Chalumeau
Dire que la définition de l’art contemporain est complexe, voire difficile relève de l’euphémisme tant la question suscite les débats. Loin de nous l’idée ou la prétention de trancher la question, il s’agira ici de faire la revue des trois acceptions majoritaires de ce que l’on entend par « art contemporain ».
Nous aborderons donc les définitions chronologiques, stylistiques et conceptuelles
Une période de l'Histoire de l'Art ?
La définition la plus répandue et utilisée dans un cadre générale est la limite chronologique.
Ainsi, l’art contemporain désigne toute création artistique à partir de 1945. Cette définition s’aligne avec la classification des périodes historiques qui, par convention, déterminent « l’ère contemporaine » à partir de 1945. Dans cette acception, l’art contemporain succède à l’art moderne (1850-1945).
Si cette définition a ceci de pratique qu’elle permet une délimitation claire pour se repérer facilement, elle n’est pas sans faiblesses.
Un des points soulevés pour nuancer ou réfuter cette définition est son aspect arbitraire. En effet, on distingue les périodes entre elles par des ruptures claires. Si en Histoire, l’année 1945 est une démarcation pertinente, il n’en va pas de même pour l’Histoire de l’art. ainsi, certains historiens de l’art préfèrent la période 1955-1960 avec l’émergence du Pop Art, qui a vu une réelle rupture aussi bien stylistique que thématique avec les périodes précédentes.
Une autre faiblesse de l’approche chronologique est dans la tentative même délimiter l’art contemporain avec des dates. En effet, est contemporain ce qui est en même temps que nous. L’art contemporain est alors l’art du moment présent uniquement, reléguant au passé tout artiste qui n’est plus de ce monde. De ce point de vue, l’art contemporain en tant que mouvement ou période n’existe pas, mais n’est qu’un simple qualificatif pour désigner la création des artistes vivants.
Peut-être faut-il alors affiner notre définition et ne plus considérer un découpage chronologique, mais à chercher une rupture plastique.
L'Art Contemporain comme art plastique ?
L’aspect technique et esthétique de la pratique artistique comme ligne de rupture trouve son point de départ avec les nouvelles technologies : photographie, pigments de synthèse, peinture en tube, sérigraphie, etc…
Ces innovations vont inciter les artistes à à repenser à la fois leurs pratiques, mais également la fonction de l’art ainsi que ses modes d’expressions
Le but n’est plus de représenter fidèlement la réalité mais de questionner, de critiquer, de révéler autrement le réel, ses contradictions et ses crises. La forme n’est plus alors un simple vecteur de message ou d’intention, mais une de ses composantes. Le geste artistique, le processus de création n’est plus moyen mais ingrédient et message.
Des nouvelles formes d’art se créent avec l’arrivée des nouvelles technologies comme l’Art Vidéo, l’Art informatique, le Bio-Art ou l’art numérique. Enfin, la notion de medium (peinture, sculpture, dessin etc) perd de son importance avec le développement d’œuvres éphémères : le médium n’est plus un support stable mais devient un simple vecteur de médiation.
Ainsi par ce biais l’œuvre d’art ne se limite plus au résultat fini, à un objet, mais s’agrandit pour englober à la fois la démarche, le message et la technique, devenant indissociable de l’artiste.
Cette approche trouve sa limite dans le fait que l’art contemporain devient indistinguable de l’art moderne, qui a posé les bases conceptuelles et plastiques des sujets abordés plus haut. En outre, définir une ère artistique par son esthétique et son approche créatrice est vite réducteur et pousse à une forme de surenchère de l’innovation, excluant toute technique traditionnelle.
Une notion plus qu'un courant ?
Le terme « art contemporain » n’est pas une expression d’historien, mais a été forgé par les conservateurs de musée. L’art contemporain se distingue de l’art moderne par le fait d’être en résonnance, en accord avec le zeitgeist de son milieu, là où l’art moderne au contraire cherche la rupture et le bouleversement.
L’art contemporain est donc l’art en phase avec la culture, les références, les préoccupations et les goûts du public auquel il se destine. C’est un art qui synthétise, cristallise une ou plusieurs facettes de son époque, pour les fixer, critiquer ou interroger.
Ce rapport à l’ère du temps est aussi un changement dans la relation entre l’artiste, l’art et le public. Car l’art contemporain se distingue en cela que ses acteurs sont à la fois créateurs et gestionnaires des institutions et circuits de validation artistique. Le public est exclu de ce réseau, réduit au rang de spectateur et approbateur passif, il devient consommateur de la culture.
Cependant si le public est exclu de la démarche de validation, il est plus que jamais nécessaire à la pérennité de l’art contemporain. Cette notion de consommation apporte alors une nouvelle dimension à la création artistique contemporaine : la réflexivité, la capacité à être appropriée par le spectateur qui par sa lecture personnelle va non seulement prolonger l’œuvre et le propos de l’artiste, mais également intégrer cette dernière et devenir lui-même créateur. L’œuvre d’art existe alors à travers chacun des spectateurs qui sont autant d’extensions, de ramifications et d’altérations de la pensée de l’artiste.
Cette dernière définition, bien que plus souple et englobante reste insatisfaisante en cela que faire de la résonnance avec des préoccupations contemporaines un critère déterminant viendrait « casser » toute classification chronologique ou stylistique. En outre, cette classification avec au centre l’aspect institutionnel exclue plusieurs pans de la création artistique : l’Art Brut (car autodidacte) et l’utilisation d’objets artisanaux (comme le textile ou la céramique), ou le Body art (trop en rupture avec les codes sociaux).
Mais alors, c'est quoi l'Art Contemporain ?
Le passage en revue des différentes tentatives de circonscrire et préciser l’art contemporain a pu nous faire comprendre qu’aucune définition n’est exacte et satisfaisante. Néanmoins il ne faut pas tout jeter. Toutes ces définitions approximatives et partielles sont des outils de réflexions parfaitement valides et utiles.
Ainsi, plutôt que de choisir une approche et de nous y tenir, il est plus judicieux de voir l’utilité de chacune, d’avoir un point de vue situé et d’adapter chaque approche selon le contexte d’utilisation de l’expression Art Contemporain
